Interroger le fanatisme de la vérité qui gouverne la philosophie, reconnaître la vie seule pour source de toute valeur, l'indépendance pour la vertu suprême du philosophe, et rechercher une réconciliation inédite de l'art et de la science : tel est pour Nietzsche le sens du gai savoir. Publié en 1882, réédité et augmenté en 1887, cet ouvrage met en oeuvre les principaux thèmes de la pensée de Nietzsche, dont celui de l'éternel retour, qu'il introduit ici pour la première fois. L'auteur y déploie le projet d'une guérison de l'humanité, d'un regain de force et d'amour de la vie : «suprême espérance» qui ne saurait se conquérir que dans la douleur... et dans l'ivresse.Dossier1. La force de vivre : comment surmonter les idéaux maladifs ?2. La philosophie de l'avenir : une thérapeutique culturelle3. Le gai savoir : l'affirmation de la vie- Glossaire des principales notions de la philosophie de Nietzsche
Ainsi parlait Zarathoustra est une oeuvre philosophique magistrale. Elle a bouleversé la pensée de l'Occident. « Nietzsche démolit, il sape », disait Gide. Il remet définitivement l'homme en question. Poète-prophète, Zarathoustra se retire dans la montagne et revient parmi les hommes pour leur parler. Sa leçon essentielle : « Vouloir libère. » Son leitmotiv : rejeter ce qui n'est pas voulu, conquis comme tel, tout ce qui est subi. C'est le sens du fameux : « Deviens celui que tu es. » La vertu est souvent le droit du plus faible, elle paralyse tout, désir, création et joie. Le surhomme nietzschéen est celui qui a la plus grande diversité d'instincts qui s'opposent puissamment mais qu'il maîtrise. La pensée de Nietzsche est un défi permanent. Elle échappe à tout système politique.
La ferveur de sa poésie, sa vigoureuse drôlerie ont donné à Nietzsche une célébrité universelle. Nos contemporains n'ont le choix qu'entre lui et Marx.
« Je viens des hauteurs que nul oiseau n'a jamais atteintes ».
Génie ou folie ? Ecce Homo est l'autobiographie philosophique de Nietzsche, son dernier ouvrage avant qu'il ne sombre dans la démence.
Il y défend, avec une verve exceptionnelle, l'originalité de son oeuvre et se construit sa propre légende.
Traduit de l'allemand par Henri Albert
En quoi la philosophie est-elle demeurée jusqu'à présent prisonnière de préjugés ? Pourquoi le projet même de recherche du vrai est-il suspect ? C'est l'examen de ces deux questions qui conduit Nietzsche, dans Par-delà bien et mal, à récuser la problématique de la vérité pour lui substituer celle, plus radicale, de la valeur. Et c'est pourquoi ce texte de 1886 - «une sorte de commentaire de mon Zarathoustra» ainsi que le présente Nietzsche - constitue sans doute l'ouvrage le plus propre à faire saisir la logique spécifique, déroutante autant que rigoureuse, de la réflexion nietzschéenne, tout comme il est celui qui en détaille le plus clairement les aboutissements : la définition nouvelle du philosophe, du «philosophe de l'avenir», comme créateur de valeurs, et l'interprétation de la réalité comme volonté de puissance.
«Combien de sang et d'horreur au fond de toutes les bonnes choses !...» écrit Nietzsche. La Généalogie de la morale applique ce principe désacralisant : l'idéal moral (ascétique) a désormais un prix, payable «en livre de chair». Principe cynique, qui découvre les pieux mensonges et les faux-semblants (autrement dit, bons sentiments et saintes intentions).Les hommes «modernes», de «progrès», ont là un miroir pour leurs interdits, leurs impuissances et leurs malentendus : la mièvrerie du consensus démocratique, la moraline du troupeau, les passions tristes qui rabotent les aspérités de la vie, la phobie de l'autorité (le «misarchisme»), la névrose généralisée du salut par l'art, la science ou la religion.Mesurons ce que l'animal humain a perdu dans l'affaire - l'innocence et la joie de l'affirmation première de la force, la vraie méchanceté, la distance, la noblesse - et son nouvel infini : réinventer un sens fort après des millénaires de sens faible.
Parue en 1872, La Naissance de la tragédie est l'acte de naissance d'un philosophe convaincu que seule la confrontation avec ce qui nous est étranger nous donne accès à nous-mêmes.En interrogeant la genèse de la tragédie antique à partir des pulsions que sont l'apollinien et le dionysiaque, Nietzsche met en lumière le sens du pessimisme propre à la Grèce présocratique. Ce «pessimisme de la force», lucide quant au caractère douloureux de la vie humaine, n'exclut pas, mais au contraire renforce le désir d'exister. Par contraste, Nietzsche interroge également une autre forme de pessimisme:le nihilisme dont souffre l'Europe moderne, conséquence paradoxale du rationalisme socratique.La Naissance de la tragédie inaugure ainsi une forme de philosophie radicalement nouvelle:une philosophie qui, contre la rationalité triomphante, met au jour le fond pulsionnel de toute activité humaine, et qui s'attache à comparer et à évaluer les cultures, en vue de mieux comprendre le présent et de transformer l'avenir.
Quelles sont les «idoles» auxquelles s'attaque Nietzsche et dont il annonce le crépuscule ? Ce sont, nous dit-il, les valeurs forgées par la religion chrétienne et imposées comme seule vérité. La tâche du philosophe consiste alors à mettre en lumière l'origine de ces a priori moraux. Les valeurs, une fois démontrée l'erreur qui nous les fait croireuniverselles, sonnent creux sous le marteau du philosophe. Car s'il cherche moins à détruire qu'à questionner et ausculter, sa visée est bien le renversement de toutes les valeurs, pour rendre à la vie, affadie par deux millénaires de christianisme, sa vigueur et sa santé.Le Crépuscule des idoles et Le Cas Wagner, qui l'accompagne, sont les deux derniers textes publiés avec l'aval de Nietzsche, quelques mois avant sa crise de démence de janvier 1889. Ils constituent, comme il l'écrit dans une lettre à Carl Fuchs du 9 septembre 1888, «une parfaite introduction d'ensemble à [sa] philosophie».
Collection « Classiques de la philosophie » dirigée par Jean-François Balaudé Nietzsche Par-delà le bien et le mal Le problème de la valeur du vrai s'est présenté à nous, - ou bien est-ce nous qui nous sommes présentés à ce problème ? Qui de nous ici est Oedipe ? Qui la Sphinx ? C'est, comme il semble, un véritable rendez-vous de problèmes et de questions. - Et, le croirait-on ? Il me semble, en fin de compte, que le problème n'a jamais été posé jusqu'ici, que nous avons été les premiers à l'apercevoir, à l'envisager, à prendre le risque de le traiter. Car il y a des risques à courir, et peut-être n'en est-il pas de plus grands.
Friedrich Nietzsche.
C'est d'abord à une radicale remise en question de la vérité que procède Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal (1886). Ce texte d'une écriture étincelante, férocement critique, met en effet au jour, comme un problème majeur jusque-là occulté, inaperçu, celui de la valeur. Il y destitue les positions philosophiques passées et présentes (autant de croyances), et stigmatise, en les analysant un à un, l'ensemble des préjugés moraux qui sous-tendent notre civilisation. L'entreprise, pourtant, n'est pas uniquement négative : elle débouche sur l'annonce, dans le prolongement d'Ainsi parlait Zarathoustra, de « nouveaux philosophes » - « philosophes d'un dangereux peut-être » qui devront désormais assumer l'inflexible hypothèse de la vie comme « volonté de puissance ».
Traduction de Henri Albert, revue par Marc Sautet.
Présentation et notes de Marc Sautet.
Index établi par Véronique Brière - Nouvelle édition.
Dans L'Antéchrist, au titre volontairement équivoque, le Christ est étrangement épargné, tandis que la charge vise les «chrétiens». Le christianisme, dit Nietzsche, est une invention de l'apôtre Paul, qui falsifie la «bonne nouvelle» du Christ pour en faire une «foi», le «mensonge sacré» d'une morale de la négation de la vie sous le symbole de la Croix : «Ce qui est chrétien, c'est la haine contre l'esprit, contre la fierté, le courage, la liberté, le libertinage de l'esprit ; ce qui est chrétien, c'est la haine contre les sens, contre les joies des sens, contre la joie tout court...» Bien plus qu'un pamphlet antireligieux et anticlérical, ce livre est une critique implacable et une généalogie de la morale, des idéaux du prêtre ascétique, de la «foi». Ces croyances, selon Nietzsche, persistent dans l'athéisme des «libres penseurs», et le «christianisme» se survit dans les «idées modernes», la foi dans la morale, la «vérité», le progrès, l'esprit de troupeau. Nietzsche, sans le connaître véritablement, y inclut ce qu'il appelle «socialisme», qui escamote la réalité pour lui substituer des idéaux négateurs, grégaires, moralisateurs et nationalistes inspirés par la «volonté de vengeance» des «faibles». Cet avatar du «christianisme» fait étrangement songer à ce qu'on appelle aujourd'hui populisme ou fascisme.
Avec ce tome VI s'achève la traduction de la correspondance intégrale de Friedrich Nietzsche ; cet ultime volume rassemble les lettres des deux dernières années de la vie consciente du philosophe (1887 et 1888) et les «billets de la folie» des premiers jours de 1889. Un document qui éclaire l'oeuvre. «Je n'écris que ce que j'ai vécu et je m'y entends pour l'exprimer», affirme Nietzsche chez qui vie et pensée sont imbriquées comme chez nul autre, et c'est donc dans l'intimité d'un penseur en errance - d'un «Prince Hors-la-Loi» de l'esprit - que nous introduit cette correspondance de haut vol. Nietzsche y apparaît comme un philosophe en quête perpétuelle du climat favorable, de l'environnement supportable, du régime salutaire : il séjourne à Nice, à Sils-Maria, sur les lacs italiens et surtout à Turin, découverte tardive d'une ville en harmonie avec ses aspirations, où il s'effondrera en janvier 1889. Ses lettres sont aussi des lettres d'affaires : Nietzsche publie lui-même, à compte d'auteur, ces deux années-là, des oeuvres aussi radicales que La Généalogie de la morale, Crépuscule des idoles, Le Cas Wagner et Ecce homo. Son projet philosophique se précise : la critique de la religion chrétienne comme expression éminente du ressentiment ; la préparation en secret d'une «transvaluation» de toutes les valeurs qui place un temps la «volonté de puissance» au centre de la réflexion. La relation avec le souvenir wagnérien devient déterminante, une problématique esthétique nouvelle s'installe avec la notion de décadence. Toutefois, ce qui frappe dans ces lettres familières, c'est l'extrême solitude dans laquelle évolue Nietzsche. La correspondance se déploie entre un petit nombre de personnes, ce qui lui confère une intensité humaine rare et une vraie portée philosophique. Les belles journées de Turin ont donné naissance à des livres où se construit le plus séduisant des «gais savoirs». Tout cela s'interrompt en janvier 1889. J. L.
Au mois d'août 1876, le Palais des festivals de Bayreuth est inauguré. C'est la première fois que L'Anneau du Nibelung de Wagner est donné dans son intégralité. Nietzsche est présent. Le mois précédent paraissait la quatrième de ses Considérations inactuelles, consacrée au compositeur. Soudain, au beau milieu des cérémonies officielles, Nietzsche est victime d'un réveil brutal : «Où étais-je donc ? Je ne reconnaissais rien, c'est à peine si je reconnaissais Wagner lui-même», écrira-t-il. Lheure est venue pour lui de s'affranchir de la figure tutélaire de Wagner. Mais la période qui s'ouvre alors est celle d'une plus vaste libération. Nietzsche s'éloigne aussi de la discipline dans laquelle il s'était illustré jusqu'ici : la philologie. Désormais il écrira en philosophe - et en «fugitif errant» plutôt qu'en professeur. Car, en arrière-fond, il y a le spectre de la maladie, qui progresse inexorablement. Elle l'oblige, en 1878, à renoncer aux cours qu'il donne au lycée, puis l'année suivante à démissionner de l'université de Bâle. Les ouvrages rassemblés dans le présent volume, et publiés dans des traductions révisées, couvrent les années 1878-1882. Il s'agit moins d'une période intermédiaire, comme on l'a dit parfois, que d'une période décisive au cours de laquelle Nietzsche énonce les fondements de sa philosophie. Humain, trop humain (1878) est, à ses yeux, le «monument commémoratif de la crise» de 1876. Suivent immédiatement deux livres Opinions et sentences mêlées (1879) et Le Voyageur et son ombre (1880), qu'il réunira en 1886 pour former le second tome d'Humain, trop humain. En 1880 et 1881, séjournant à Venise, à Marienbad, ou encore à Gênes, il rédige Aurore (1881). Ce texte est l'un des plus méconnus de Nietzsche. Méconnaissance parfaitement injustifiée, car «c'est par ce livre, dira-t-il, que s'ouvre [sa] campagne contre la morale.» Enfin, il publie l'année suivante Le Gai Savoir (1882), dont une édition augmentée paraîtra cinq ans plus tard. Ce livre est pour lui «la victoire sur l'hiver», l'ouvrage de la santé (provisoirement) recouvrée. Humain, trop humain marque un tournant dans le style de Nietzsche. Abandonnant le désir d'être «persuasif», il opte en effet pour une forme à laquelle il se tiendra : celle de l'aphorisme. La nécessité de proposer une oeuvre construite à partir de fragments découle pour lui de sa conception du langage selon laquelle «chaque mot est un préjugé». Mais, avec Humain, trop humain, Nietzsche ne se contente pas d'explorer un nouveau type d'écriture, il donne à sa pensée une orientation nouvelle : travailler à l'élaboration d'une «philosophie historienne». Aurore et Le Gai Savoir exploreront cette voie, procédant, en conséquence, à une profonde critique des valeurs. Cest dans ces deux derniers ouvrages, enfin, qu'émergent deux éléments capitaux de la philosophie nietzschéenne : la volonté de puissance, cette notion qui a prêté à de nombreux malentendus, et l'éternel retour.
Formulons-la, cette exigence nouvelle : nous avons besoin d'une critique des valeurs morales, il faut remettre une bonne fois en question la valeur de ces valeurs elles-mêmes - et pour ce, il faut avoir connaissance des conditions et des circonstances dans lesquelles elles ont poussé, à la faveur desquelles elles se sont développées et délacées (la morale comme conséquence, comme symptôme, comme masque, comme tartuferie, comme maladie, comme mécompréhension ; mais aussi la morale comme cause, comme remède, comme stimulant, comme inhibition, comme poison), une connaissance comme il n'en a pas existé jusqu'à aujourd'hui, et comme on n'en a même pas désiré.
Friedrich NIETZSCHE.
Une histoire généalogique de la morale, de nos « préjugés moraux » tel est le projet auquel s'attelle Nietzsche (1844-1900) dans La Généalogie de la morale (1887), un de ses livres les plus importants et les plus célèbres, rédigé à la suite de Par-delà le bien et le mal. Nietzsche renonce ici à l'écriture par aphorisme, et compose son ouvrage en trois dissertations (I. «Bon et méchant», « bon et mauvais» ; II. «Faute », « mauvaise conscience » ; III. « Que signifient les idéaux ascétiques ?») : par cette généalogie des valeurs morales se trouve dévoilé le travail souterrain de la volonté de puissance à l'oeuvre dans l'histoire des hommes. Ce que Nietzsche offre alors au lecteur qu'il appelle de ses voeux, ce lecteur capable de « rumination », ce sont les moyens de s'affranchir de l'idéal ascétique qui, de la religion, a gagné l'art et la science, pour pouvoir ainsi surmonter le nihilisme contemporain.
Nietzsche entre à la Pléiade. Ce premier volume rassemble les ouvrages publiés durant ce qu'on a appelé par commodité la «première période» de son activité (1872-1876) : La Naissance de la tragédie et les quatre Considérations inactuelles. S'y ajoutent un ensemble de textes (1870-1873) qui ne figure dans aucune autre édition des Oeuvres de Nietzsche (à l'exception des Oeuvres philosophiques complètes publiées chez Gallimard) : les articles ou conférences du jeune professeur de philologie à l'université de Bâle, les Cinq préfaces à cinq livres qui n'ont pas été écrits, offertes à Cosima Wagner pour Noël 1872, La Philosophie à l'époque tragique des Grecs, écho des travaux sur les philosophes préplatoniciens qui fournirent à Nietzsche le sujet de ses cours en 1872, et d'autres essais qui témoignent de la diversité des intérêts du philosophe à l'état naissant. Le volume se referme sur un choix d'écrits de jeunesse : pour la première fois, des cahiers de notes du jeune Nietzsche sont publiés tels qu'ils se présentent dans le manuscrit ; Démocrite, Kant, Emerson, Schopenhauer traversent ces pages, qui révèlent maints projets de livres demeurés sans suite directe. Un Nietzsche posthume, donc, à côté du célébrissime auteur de la Naissance et des Considérations. Mais Nietzsche lui-même n'affirmait-il pas, en 1888, dans les derniers mois de sa vie consciente, que sa véritable naissance serait posthume ?
À sa parution en 1878, Humain, trop humain laisse les lecteurs perplexes : on n'y reconnaît pas l'auteur de La Naissance de la tragédie. Pourtant, la rupture entre les deux ouvrages n'est pas aussi radicale qu'on a voulu le penser. C'est bien plutôt un mouvement d'affirmation de soi, profond et déterminant, qui se manifeste dans ce nouveau livre. Libéré de ses influences passées, Nietzsche réinvestit ses interrogations sur un mode nouveau et, ce faisant, consolide sa propre manière de philosopher.L'évolution la plus frappante est stylistique : Nietzsche adopte pour la première fois la forme aphoristique, conforme à sa pensée, anti-dogmatique, qui procède par essais, hypothèses, multiplication des points de vue. D'où un changement de méthodologie : à rebours de la tradition philosophique, il rejette les perspectives fixistes de la métaphysique et prône une logique interprétative. Se plaçant sur le terrain de la psychologie, il enquête sur les méandres de l'âme humaine, reconnaissant que tout ce qui se produit dans la réalité n'est pas entièrement imputable à la raison, mais bien davantage à des processus infra-conscients - instincts, pulsions, valeurs -, qui constituent le «trop humain» de l'humain.
Cette nouvelle traduction voudrait affirmer un ton diffèrent de celui que les autres versions du «Zarathoustra» de Nietzsche ont perpétué jusqu'ici. Elle vise à conserver en français la force du texte original, en se tenant aussi près de l'allemand qu'il a paru concevable ; souvent cette fidélité a semblé la meilleure façon d'en faire passer la splendeur emportée.
De la quasi-épouse d'un jour Mathilde Trampedach à la relation platonique avec Louise Ott, du triangle amoureux avec Lou Salomé et Paul Re´e à la passion pour Cosima Wagner : les amours que Nietzsche décrit dans ses lettres sont à la fois improbables et tragiques, décousues et légendaires. Le théoricien de la volonté de puissance s'abandonne à des élans de tendresse qui laissent entrevoir l'irréductible innocence de l'homme qui a fait exploser la pensée occidentale.
Livre de la maturité, Humain, trop humain ouvre la deuxième période de la pensée nietzschéenne. Le philosophe a trouvé le style d'écriture qu'il n'abandonnera plus - la forme aphoristique - et l'objet qui l'occupera toujours - l'analyse des moeurs et de la culture.Dans ce second volume, composé d'Opinions et sentences mêlées et du Voyageur et son ombre, Nietzsche aborde des sujets de tous ordres : l'enseignement, la mode, le christianisme, le châtiment, les Grecs... Au lieu de proposer un exposé dogmatique, il procède, tel le voyageur sans attaches, par essais et expérimentations. Mais derrière le caractère apparemment hétéroclite de l'oeuvre, c'est bien à une étude des moeurs et, à travers elle, à une critique de la morale que Nietzsche s'emploie. Pour lui, en effet, la morale telle qu'elle s'est développée dans la tradition philosophique a masqué derrière les lumières de la raison ce qui est perçu comme une faiblesse : les pulsions, l'irrationnel, l'«ombre» en chacun de nous - ces choses injustement mises au rebut alors qu'elles constituent la réalité profonde de la vie et que Nietzsche appelle le «trop humain» de l'humain.
Le «bien», le «mal» : ces «valeurs», qui infléchissent nos pensées, nos jugements et nos actions, nous semblent évidentes, voire naturelles. À tort, nous dit Nietzsche. Ce sont en réalité des habitudes qui nous sont inculquées, depuis les temps archaïques, par les châtiments les plus cruels. Pire : loin d'être une marque d'humanité évoluée, elles sont le symptôme d'une civilisation malade de sa morale.Aux yeux de Nietzsche, le véritable coupable est la religion chrétienne qui, depuis deux millénaires, a imposé un système de valeurs essentiellement hostile aux instincts premiers de la vie. L'homme «moderne» a forgé sa conscience morale dans la conviction d'avoir fauté, instillant en lui remords et veulerie. Médecin de la civilisation, le philosophe appelle de ses voeux un renversement de cette forme pathologique de la morale - renversement qui redonnera à la vie sa noblesse et à l'homme sa joie, sa force, sa santé.Dossier : 1. Temporalités de la généalogie : histoire, évolution, élevage2. Fondements de la généalogie : culture, droit et morale.
Nietzsche a 26 ans lorsqu'il rédige La Vision dionysiaque du monde, un texte resté inédit de son vivant. Il s'agit, sous une forme ramassée mais déjà extrêmement aboutie littérairement, du premier exposé de l'un des thèmes fondamentaux de sa pensée :
L'opposition entre le monde apollinien et le monde dionysiaque, entre la mesure, l'apparence, la forme et l'ivresse, l'extase, l'oubli de soi ou, pour le dire encore autrement, entre le voile du rêve et la puissance destructrice de la vérité. De l'affrontement de ces deux mondes naît la tragédie grecque. Ces pages qui annoncent et résument à la fois l'ouvrage futur La Naissance de la tragédie, constituent une des plus belles introductions de Nietzsche à sa conception du monde comme musique.
Nietzsche Humain, trop humain Humain, trop humain, avec ses deux continuations, est le monument commémoratif d'une crise. Je l'ai intitulé : un livre pour les esprits libres, et presque chacune de ses phrases exprime une victoire ; en l'écrivant, je me suis débarrassé de tout ce qu'il y avait en moi d'étranger à ma vraie nature. Tout idéalisme m'est étranger. Le titre de mon livre veut dire ceci : là où vous voyez des choses idéales, moi je vois... des choses humaines, hélas ! trop humaines ! [...] On trouvera ce livre sage, posé, parfois dur et ironique. On dirait qu'un certain « intellectualisme » au goût aristocratique s'efforce constamment de dominer un courant de passion qui gronde par en dessous.
Friedrich Nietzsche.
Commencé en 1876, et achevé au début de 1878, le premier livre de Humain, trop humain, qui comporte 638 aphorismes, a été pour l'essentiel dicté à Peter Gast, alors étudiant à Bâle. Il paraîtra le 30 mai 1878, pour saluer le centième anniversaire de la mort de Voltaire, « l'un des plus grands libérateurs de l'esprit ». Le second livre contient deux écrits distincts, Opinions et sentences mêlées et Le Voyageur et son ombre, qui seront quant à eux publiés l'un en 1879 et l'autre en 1880. Nietzsche s'est désormais libéré des influences qui pesaient sur lui et son radicalisme trouve enfin son expression la plus ferme. Il pourfend la métaphysique traditionnelle, affronte le problème de l'éthique, développe sa critique du christianisme, renforce sa réflexion sur l'art et aborde des sujets aussi divers que le mariage, la femme, les rapports humains, la violence entre les hommes...
Révision de la traduction, notes et commentaires par Angèle Kremer-Marietti.
Ce livre quasi mythique, qui passe pour le couronnement de l'oeuvre de Nietzsche, a connu plusieurs versions en allemand, car son auteur n'avait fait qu'en esquisser différents plans de 1885 à 1888. La première traduction française, due à Henri Albert et fondée sur la version allemande de 1901, est parue au Mercure de France. Elle comporte seulement quelque cinq cents aphorismes. La présente version, élaborée par Friedrich Würzbach, est beaucoup plus étendue, et c'est à elle qu'on s'est référé en France, depuis 1935.
Dans ces pages datées du 10 juin 1887, Nietzsche conçoit un nihilisme européen : concept daté et circonstancié, historique et géographique, philosophique, et tout à la fois moral et politique, bien plus que métaphysique ou mystique. Analysant les valeurs sacrées et éternelles, il prononce la parole déraisonnable de l'imprécateur. Mais son intention est de purifier la société européenne.
Depuis son très jeune âge, Nietzsche n'a cessé d'écrire des poèmes, et cette veine poétique de son style culmine dans ce qu'il a lui-même considéré un temps comme son chef-d'oeuvre, Ainsi parlait Zarathoustra. Il est impossible d'imaginer publier la totalité des poèmes de Nietzsche, mais bon nombre d'entre eux ici rassemblés offrent à la fois une grande qualité d'expression et une résonance philosophique propre, rencontre où Nietzsche excelle le plus souvent dans le style aphoristique, mais parfois aussi dans la forme poétique. Certains poèmes vont jusqu'à exprimer les idées dont on trouve à peine l'équivalent dans les oeuvres en prose.
L'image que l'on se fait souvent de Nietzsche (1844-1900) est celle du penseur solitaire, errant et sans attaches. Seul, il n'était pourtant pas sans amis. En témoignent ses relations avec Richard Wagner, Paul Rée, Malwida von Meysenbug ou Lou Andreas-Salomé : amitiés spirituelles, passionnées, orageuses, débouchant parfois sur une violente inimitié, à la hauteur de l'espérance que lui inspirait l'objet de son sentiment. Embrassant une décennie entière, de la parution d'«Humain, trop humain» à l'écriture d'«Ecce Homo», le présent volume propose pour la première fois, dans une nouvelle traduction, un choix d'aphorismes et de poèmes où Nietzsche expose ses vues sur l'amitié, à la fois déroutantes, provocantes et paradoxales. Le philosophe ne fait-il pas dire en effet à son Zarathoustra qu'il faut voir en l'ami son meilleur ennemi ?