Vivre écartelé entre une multiplicité de temps, de vies, de milieux. Naître et mourir plusieurs fois : telle est l'existence de l'homme déraciné. Dans ce texte inédit, paru en 1962 dans la revue allemande Merkur, Günther Anders livre sa vision déchirante de la condition de l'émigrant. Comme dans une lettre imaginaire, il s'adresse à un destinataire indéfini et saisit le lecteur. Menace de l'annihilation par l'assimilation, honte, infantilisation, impossibilité de partager la douleur du monde : Anders, lui-même juif émigré, donne toute sa dimension universelle et atemporelle à ce drame intime et le rend ainsi accessible au lecteur. Entre philosophie, histoire et témoignage, L'Émigrant fait entendre les échos d'un mal qui ne cesse de hanter notre époque.
Avec la spontanéité propre à l'oralité, Günther Anders livre dans cet entretien un condensé de sa pensée entrecoupé de quelques anecdotes savoureuses, notamment l'étonnement du philosophe quand il s'aperçut que lui, juif, pouvait faire le poirier plus longtemps que ses autres condisciples, grands et blonds. Mais ce livre est surtout le récit d'un parcours philosophique et politique, où l'on croise Brecht, Husserl, et qui révèle une personnalité comparable à celle de George Orwell par son courage intellectuel et sa lucidité.
Sa critique des totalitarismes et de la technique, du nucléaire notamment, se révèle encore aujourd'hui d'une saisissante actualité.
« Dix thèses pour Tchernobyl. Adresse amicale au 6e congrès international des médecins pour l'empêchement d'une guerre nucléaire?» (juin 1986) présente un condensé des principaux arguments de la morale à l'âge atomique de Günther Anders. Sa critique de la modernité technique met l'accent sur notre incapacité morale et politique à appréhender la dérive tragique des conséquences de l'usage de la puissance nucléaire, à des fins militaires et civiles. Ce texte décrypte les principales raisons de notre aveuglement. La présentation de ce texte revient sur ses conditions de maturation dans la pensée d'Anders. Le commentaire met en perspective cet article, en insistant sur le décalage entre nos représentations politiques de la menace atomique et la vulnérabilité de notre condition moderne.
Ce recueil de textes - qu'Anders dit avoir longtemps songé à intituler « L'Obsolescence de la Terre » - prolonge la réflexion sur le rapport de l'homme au monde technique initiée par le premier tome de L'Obsolescence de l'homme (1956). Il porte sur un projet particulier : les vols spatiaux à destination de la Lune. S'intéressant de près à l'histoire des vols spatiaux et à la dimension mythique de la conquête spatiale, Anders montre que ce qui est décisif dans ces vols, ce n'est pas tant qu'ils aient permis de voyager dans l'espace et d'aller sur la Lune mais qu'ils aient offert « pour la première fois à la Terre la chance de se voir, de se rencontrer ». Jusqu'alors voir « notre Terre natale comme étant un objet céleste parmi d'autres objets célestes » exigeait de passer par un acte d'abstraction ou d'imagination. Désormais nous n'en avons plus besoin.
En réduisant le décalage entre ce dont l'Homme avait rêvé (de Cyrano de Bergerac à Hergé en passant par Jules Verne) et ce qu'il peut désormais faire, ces vols spatiaux ont créé un nouveau « décalage prométhéen », touchant aux limites de son imagination.
Vue de la Lune invite à porter un regard critique et renouvelé sur notre condition humaine et terrestre. Avec en filigrane cette question : à quoi cela peut-il bien servir d'aller sur la Lune ?
" tout le monde est d'une certaine manière occupé et employé comme travailleur à domicile.
Un travailleur à domicile d'un genre pourtant très particulier. car c'est en consommant la marchandise de masse - c'est-à-dire grâce à ses loisirs - qu'il accomplit sa tâche, qui consiste à se transformer lui-même en homme de masse. alors que le travailleur à domicile classique fabriquait des produits pour s'assurer un minimum de biens de consommation et de loisirs, celui d'aujourd'hui consomme au cours de ses loisirs un maximum de produits pour, ce faisant, collaborer à la production des hommes de masse.
Le processus tourne même résolument au paradoxe puisque le travailleur à domicile, au lieu d'être rémunéré pour sa collaboration, doit au contraire lui-même la payer, c'est-à-dire payer les moyens de production dont l'usage fait de lui un homme de masse (l'appareil et, le cas échéant, dans de nombreux pays, les émissions elles-mêmes). il paie donc pour se vendre. sa propre servitude, celle-là même qu'il contribue à produire, il doit l'acquérir en l'achetant puisqu'elle est, elle aussi, devenue une marchandise.
" " le monde comme fantôme et comme matrice ".
En 1960, Francis Gary Powers, pilote américain, est arrêté en mission en URSS en pleine Guerre froide. Günther Anders, inquiet des conséquences de cette arrestation et du risque de guerre nucléaire, écrit au pilote incarcéré. Sa «Lettre sur l'ignorance» reste sans réponse. Il en écrit alors une seconde : «Le rêve des machines», inédite en français comme en allemand.
Le Rêve des machines rassemble ces lettres qui éclairent l'évolution de la pensée d'Anders. En exposant à Powers comment il est devenu le rouage d'un système inhumain, il dénonce la toute-puissance de la technique et le monde des machines, produit d'un capitalisme qui annihile notre humanité. Anders déroule ainsi une pensée habitée par un souffle qui, à défaut d'être atomique, est d'une puissance philosophique sans équivalent.
+ Enfin traduit en français, ce livre mythique de l'immense Günther Anders, son unique écrit romanesque. Très attendu !
+ Premier livre d'une nouvelle collection dirigée par le collectif Illusio, qui anime la revue du même nom et est en France le principal héritier de l'École de Francfort.
Les lecteurs de Günther Anders connaissent déjà la Molussie, pays imaginaire auquel il fait souvent référence dans ses ouvrages philosophiques.
Il s'agit d'un pays totalitaire où, dans les sous-sols de la prison d'État, des détenus se transmettent de génération en génération un savoir exposé sous forme d'histoires - jusqu'au jour où il pourra remonter à la surface et éclairer celles et ceux qui seront enfin prêts à l'entendre.
Seul grand écrit romanesque d'Anders, achevé en 1938, La Catacombe de Molussie est un mélange de littérature et de philosophie unique en son genre. Élaborées hors du temps, dans l'obscurité d'une cellule sans fenêtre, les histoires qui composent cette dystopie doivent autant à Brecht qu'à Swift, tout en rappelant Kafka et en annonçant Orwell. À travers la description de la Molussie, l'auteur révèle les dispositifs d'aliénation, de mise au pas et de propagande à l'oeuvre dans la société industrielle et coloniale de son époque.
Il y pose les bases de sa critique de la société de consommation, dont il ne cessera de dénoncer le totalitarisme à partir des années 1950.
Traduit pour la première fois en français, ce texte d'une admirable lucidité apporte un nouvel éclairage pour comprendre non seulement les dérives et travers de notre monde, mais aussi l'oeuvre d'un des penseurs majeurs de la technique et de la culture de masse.
« C´est en tant que morts en sursis que nous existons désormais. » Infatigable pourfendeur de la bombe atomique, Günther Anders (1902-1992) qui préférait au titre de philosophe celui de « semeur de panique », a fait des catastrophes de son siècle le point de départ de ses réflexions. Il a analysé le décalage périlleux, provoqué par la société industrielle, entre nos compétences techniques et nos facultés d´imagination. Alors que la technique rend infinie notre capacité de nuisance, notre aptitude à appréhender les conséquences de nos actes s´amoindrit ostensiblement. En soulignant le caractère visionnaire de son oeuvre, Florent Bussy nous rappelle que la peur est un instrument de lucidité et d´adaptation au présent face à l´imminence de catastrophes planétaires.
Découvrez L'obsolescence de l'homme - Tome 2, Sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle, le livre de Günther Anders. "Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le changeons de toute façon. Il change même considérablement sans notre intervention. Nous devons aussi interpréter ce changement pour pouvoir le changer à son tour. Afin que le monde ne continue pas ainsi à changer sans nous. Et que nous ne nous retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes." C.A.
Cet essai devait à l'origine figurer dans le troisième volume de L'Obsolescence de. l'homme, oeuvre maîtresse de Günther Anders, volume qui n'a jamais vu le jour. Ce texte à demi dialogué, on pourrait dire théâtral, se montre riche en aperçus de tous genres, sous-tendu par une dialectique toujours surprenante. Un essai magistral, pratiquant l'exagération et le paradoxe comme sources d'insurrection permanente contre une époque glaciaire. Un texte classique au sens fort : à lire en classe, pour l'instruction des générations qui viennent.
Les deux lettres ouvertes de günther anders adressées au fils d'adolf eichmann constituent un petit traité, avec mode d'emploi, sur la condition humaine aujourd'hui, considérée sous l'angle d'une catastrophe à répétition, qui entraîne l'obsolescence toujours croissante de l'humain lui-même.
L'homme apparaît ici, de nouveau, comme le détenteur d'une capacité de production infiniment supérieure à sa capacité de représentation, et tout aussi bien à sa capacité de sentir. dans ce contexte, l'idée même de responsabilité se trouve profondément atteinte ou profondément pervertie, de sorte que nous sommes tous, d'une manière ou d'une autre, des enfants d'eichmann. plus exactement, nous sommes tous devant un choix comparable à celui auquel günther anders confronte le destinataire de ses deux lettres : le choix de la continuité ou de la rupture.
Un choix d'autant plus urgent que se réduit de jour en jour la marge de jeu dont dispose l'humain dans le monde tel qu'il devient.
Ce livre instaure un débat, dans la société allemande des années 80, autour du pacifisme et de la lutte contre la nucléarisation du monde. S'il s'inscrit dans l'après Tchernobyl, ses conclusions, l'impossibilité de ne pas recourir à la violence comme légitime défense, dépassent de loin le cadre de sa publication initiale.
Qu'il s'agisse de Fukushima, qui est une réalité et non un symbole, ou de tout autre projet destructeur en provenance de l'industrie et de l'État réunis en consortium, ces pages sont d'une indéniable actualité.
Le livre intègre toutes sortes d'objections et de contributions adressées à Günther Anders lors de la parution d'un premier article. Il est également constitué d'entretiens, réels ou fictifs, dans lesquels on découvre un Anders politique, non seulement un critique radical de l'État mais aussi un auteur capable de provoquer une société entière pour l'inviter à réagir.
Il s'inscrit dans la suite de Hiroshima est partout, de La Menace nucléaire et ce titre, il vient heureusement compléter les textes déjà traduits en français et introduire en France les termes d'une discussion qui n'y a guère été menée.
Günter Anders était, comme il devait le rappeler lui-même, un penseur chassé de toutes les frontières et c´est à partir de cette condition que nous pouvons comprendre une vie intellectuelle inquiète qui a traversé les événements, souvent dramatiques, d´une grande partie du siècle dernier. De cette situation, Anders réussit à produire une réflexion intellectuelle très riche, fondée sur une base théorique d´une grande importance, à partir aussi d´une formation philosophique qui a vu une comparaison variée avec la phénoménologie, l´anthropologie philosophique (dont il peut être considéré comme l´un des premiers et des plus radicaux représentants), l´existentialisme, l´éthique technologique. Ce recueil de textes, notamment de jeunesse, veut permettre d´approcher la figure d´un penseur qui offre encore aujourd´hui des pistes importantes pour pouvoir réfléchir de manière critique sur la dynamique de la civilisation technologique et sur les enjeux environnementaux de plus en plus urgents.
Soixante ans après Hiroshima, comment penser l'usage de la technique par l'homme, le risque, la responsabilité, la précaution qui en découlent ? Quelques années après l'explosion de la bombe atomique, Günther Anders livrait un texte précurseur : il relate sa visite au Japon, dialogue avec l'un des pilotes de la flotte qui largua la bombe, et réfléchit plus largement sur la folie de la guerre au XXe siècle. Un essai fondateur pour la mouvance antiatomique, mais aussi une réflexion propre à alimenter les interrogations contemporaines sur le risque.
Ce volume est constitué de textes, réunis par Anders en 1984, portant sur l'art et la littérature. Ce sont des textes de différentes époques (le plus ancien, l'étude consacrée à Berlin Alexanderplatz, date de 1931, le plus récent, une étude des 87 paraboles de Brecht regroupées sous le titre Les Histoires de Monsieur Keuner, date de 1979) mais renvoyant tous à des écrivains et artistes représentant une certaine modernité littéraire et artistique. Cette modernité, Anders ne se contente pas de souligner les ruptures formelles qui la caractérisent. Ces oeuvres ne sont pas pour lui des objets contingents. L'étude consacrée à Berlin Alexanderplatz est autant une contribution à l'anthropologie philosophique qu'une étude littéraire et contient déjà des éléments du premier tome de L'Obsolescence de l'homme ; l'étude consacrée aux paraboles de Brecht - sur lesquelles s'était déjà penché Walter Benjamin - est menée par le fabuliste auquel on doit tant de « paraboles » molussiennes.
Que l'homme soit « sans monde » renvoie pour Anders à plusieurs niveaux d'approche : les « Hommes sans monde » sont d'une part les pauvres, les précaires et les chômeurs dans la société capitaliste, mais ce sont aussi tous les hommes en tant que par essence, ils sont « non fixés» et devant « à chaque époque, en chaque lieu, voire jour après jour » se donner un monde. La perspective historique de cette anthropologie philosophique, dont Anders rappelle ce qu'elle doit à Marx et en quoi elle s'inscrit en faux contre l'être-au-monde heideggérien, donne son style singulier à la critique andersienne et s'inscrit dans le sillage des travaux de Max Scheler et Helmuth Plessner. Enfin, la problématique de l'Homme sans monde prend un nouveau sens à l'époque du multiculturalisme, où intériorisant tant de mondes différents, l'homme n'a finalement plus de monde propre.
À une introduction succèdent cinq «chapitres» regroupant des études consacrées à trois écrivains (Alfred Döblin, Bertolt Brecht et Hermann Broch) et deux artistes (John Heartfield et Georg Grosz). À l'exception de Heartfield, Anders a connu ces écrivains et artistes ou au moins échangé avec eux.
Günther
En 1974, Günther Anders, s'adressant à des non-Juifs, entreprend à la fois de raconter et d'éclairer l'héritage qui fut le sien : fruit de plusieurs générations de Juifs allemands qui avaient cru à l'assimilation, ayant découvert son identité à travers le rejet violent de ses condisciples chrétiens, puis persécuté par le nazisme et exilé définitif, il se décrit comme l'un des « derniers Juifs » ayant regardé l'Allemagne comme leur patrie, « la langue allemande comme la langue, la musique allemande comme la musique ». Résolument sans dieu ni religion, et pourtant ne supportant pas l'idée de renoncer à sa judéité, Anders s'interroge ici sur les conséquences en lui du messianisme et sur la force morale et intellectuelle que la situation des Juifs assimilés donne à des êtres qui ont dû briser les tabous de l'orthodoxie. Cette très belle introspection, reliée à une conscience aigue de l'histoire, le conduit à examiner des thèmes aussi divers que la notion de « peuple élu », son aversion pour les icônes ou les risques du projet sioniste.
Ce volume, constitué de plusieurs textes, comprend également une nouvelle intitulée Learsi (anagramme d'Israël), fable philosophique comme les aime Anders, dans laquelle son héros, Learsi ne parvient jamais à se faire une place dans le pays étrange de Topilie.
Nous avons également joint en annexe des poèmes et deux lettres : l'une adressée en 1948 à son neveu qui vient de naître à Jérusalem, avec pour instruction de la lire lors de ses 15 ans, et le mettant en garde contre les possibles dérives liées à l'institution d'un État juif ; l'autre datant de 1982 et publiée alors dans la presse, adressée à la communauté juive de Vienne.
La qualité littéraire de ce livre tient au style même de Günther Anders. Le style de sa philosophie tout d'abord, qui, en tant que philosophie de l'occasion, se nourrit des expériences vécues par son auteur et trouve dans le journal une forme - de surcroît très vive et stimulante pour le lecteur - qui lui convient parfaitement. Le style de son écriture ensuite, qui, travaillant dans l'épaisseur de la langue allemande et maniant de façon virtuose les ressources de la rhétorique, confifi rme une fois de plus qu'Anders n'est pas qu'un grand philosophe mais aussi un grand écrivain.
Sa qualité scientififi que tient paradoxalement à la façon personnelle et sentimentale dont il aborde son objet. Au lieu de parler directement des camps d'extermination, il en parle indirectement, en évoquant l'état d'esprit dans lequel se trouvaient les Juifs allemands que les nazis ont projetés d'exterminer et en décrivant les effff ets de la Shoah sur la ville et la région de Wroclaw.
Cette façon de tenir compte, loin de toute approche positiviste, de la nature même de son objet, fait toute la singularité du livre.
La façon singulière dont il traite son objet et sa qualité littéraire font de ce livre tout autre chose qu'un livre de plus sur la Shoah. Sa publication viendra en outre enrichir la connaissance que le public français a de l'oeoeuvre d'Anders. Il dispose maintenant des deux tomes de L'Obsolescence de l'homme (Encyclopédie des nuisances/Ivrea, 2002 et Fario, 2011), d'Hiroshima est partout (Seuil, 2008) (et de La Menace nucléaire, Le Serpent à plumes, 2006).
À cette date, c'est surtout à travers ce qu'il a écrit sur la bombe atomique qu'on connaît Anders en France. La traduction de Besuch im Hades permettra de faire connaître une autre partie de ce qu'Anders appelait son « encyclopédie du monde apocalyptique », celle qui concerne les camps d'extermination nazis.
Les deux tomes de L'Obsolescence de l'homme, parus en France en 2002 et en 2011 nous ont permis de découvrir en Günther Anders l'un des penseurs les plus importants de la technique. Alors que le troisième volume de L'Obsolescence de l'homme est en préparation, d'après les notes laissées par l'auteur avant sa mort, Besuch im Hades, paru en Allemagne à la fifi n des années 1970 et jamais traduit en français apparaît comme une tentative originale et courageuse de compréhension et d'interprétation des deux événements essentiels du XXe siècle que sont « Auschwitz » et « Hiroshima ».
À son retour d'exil, Günther Anders fait face à ce qu'il estime le plus urgent dans l'ordre des priorités : l'état du monde et la menace que représente la destructivité humaine sous les espèces de la technique et de l'atome. Mais s'il a renoncé à toute carrière universitaire, il n'en demeure pas moins tenté par les « démons de la philosophie ». Engagé dans son oeuvre d'anthropologie philosophique à l'ère technologique tout autant que dans son activité militante, il cherche néanmoins à leur faire place. À les tromper ; il leur destine des « feuilles volantes » : « Et à chaque fois qu'ils [les démons] regardent par-dessus notre épaule, il faut les prendre en notes. Alors ils deviennent supportables. Ils se laissent abuser par ces sténogrammes. » L'ouvrage, paru en 1965, se présente donc sous la forme d'un recueil d'aphorismes, ou sténogrammes, qui vont de la phrase à quelques pages, sans logique apparente dans leur classement et tous munis d'un titre. L'intérêt de l'ouvrage est d'être relativement facile d'approche, assez court, moins difficile que ses ouvrages théoriques, moins déroutant que ses autres textes littéraires.
Le génie d'Anders consiste à prélever dans son quotidien une scène, un détail apparemment anodin, pour le relier à un fait historique ou à une tendance lourde de l'évolution de la société. Le procédé rappelle par moment les aphorismes de Nietzsche, de Lichtenberg ou encore les moralistes français du dix-septième siècle.
Si le lecteur assidu de Anders reconnaît aisément certains de ses thèmes de prédilection et en quelque sorte y trouve leur confirmation sous une forme tantôt ludique tantôt ironique voire acerbe, pour le lecteur néophyte l'ouvrage est une introduction idéale à son oeuvre.
Günther Anders (de son vrai nom Günther Stern) fut formé par la musique et les beaux-arts qu'il pratiquait lui-même activement. S'il n'est pas devenu musicien, ses expériences ont marqué sa pensée et nourri sa réflexion philosophique ultérieure. En témoignent les « Recherches philosophiques sur les situations musicales » (1930-1931), projet de thèse d'habilitation demeuré inédit, qui porte l'influence de ses professeurs Edmund Husserl et Martin Heidegger. Les écrits rassemblés dans cet ouvrage constituent l'une des toutes premières réflexions phénoménologiques appliquées à la musique, avant que le philosophe ne se tourne vers une approche sociologique, présentée dans la seconde partie du volume. « Qui la musique socialise-t-elle ? Qui est-elle censée toucher, et à l'initiative de qui ? Qui la reproduit ? » Anders s'intéresse à la transformation de l'être dans l'expérience d'écoute.
cet essai devait à l'origine figurer dans le troisième volume de l'obsolescence de l'homme, oeuvre maîtresse de günther anders, volume qui n'a jamais vu le jour.
ce texte à demi dialogué, on pourrait dire théâtral, se montre riche en aperçus de tous genres, sous-tendu par une dialectique toujours surprenante. un essai magistral, pratiquant l'exagération et le paradoxe comme sources d'insurrection permanente contre une époque glaciaire. un texte classique au sens fort : à lire en classe, pour l'instruction des générations qui viennent.