"À l'expérience juive de l'Histoire, Auschwitz ajoute en effet un inédit, dont ne sauraient venir à bout les vieilles catégories thé ologiques. Mais quand on ne veut pas se séparer du concept de Dieu - comme le philosophe lui-même en a le droit - on est obligé, pour ne pas l'abandonner, de le repenser à neuf et de chercher une réponse, neuve elle aussi, à la vieille question de Job. Dès lors, on devra certainement donner congé au seigneur de l'Histoire. Donc : quel Dieu a pu laisser faire cela ?" (Hans Jonas)
Les morales traditionnelles sont devenues inopérantes en particulier pour les décideurs politiques. Hans Jonas propose une reformulation de l'éthique autour de l'idée de responsabilité, sous ses différents aspects (naturelle et contractuelle), et voit dans les parents et les hommes d'état deux modèles essentiels ; il discute les idéaux de progrès et les utopies (d'où le titre qui rappelle Le Principe espérance d'Ernst Bloch) et dessine une philosophie de l'«espérance responsable» fondée sur le respect. L'accueil réservé à cette grande oeuvre - des philosophes aux décideurs politiques et des pédagogues aux scientifiques - témoigne de l'actualité d'une telle réflexion.
La lecture de ce texte, d'une parfaite agilité dialectique sur fond de tragédie, laisse une impression de vertige. Que devant l'abîme se creusant sous ses yeux le lecteur ne perde pas pied, mais sorte de l'épreuve, au contraire, le coeur plus vif et la pensée plus forte, tel est le mérite de l'auteur, qui à chaque instant parvient à intégrer le droit de mourir au droit de vivre.
L'espèce humaine se trouve à un carrefour.
Dotée d'une puissance en constante extension, il lui faut désormais opérer les choix ou assumer les hésitations qui lui éviteront le sort de l'apprenti sorcier. la futurologie apparaît alors non comme un charlatanisme de plus, mais comme l'indispensable évaluation des effets à longue portée, pour les générations à venir, des révolutions technologiques déferlantes d'oú peuvent surgir le meilleur et le pire.
Dresser les critères de cette évaluation, telle est la tâche du philosophe. et s'il fait appel à l'éthique, ce ne sera jamais pour brimer ou pour briser la vie, mais au contraire pour l'aider à parer les plus graves dangers, afin de lui offrir un nouveau champ de développement.
« Nous n'avons pas le droit d'hypothéquer l'existence des générations futures à cause de notre simple laisser-aller. »Comment réinventer notre rapport à la nature ? Comment se comporter de manière responsable face à notre planète sans la piller et la détruire ?Catastrophes nucléaires, marées noires, l'homme est devenu une menace non seulement pour lui-même mais pour la biosphère toute entière. À travers huit entretiens donnés au cours des années 1980 et 1990, Hans Jonas s'insurge contre l'exploitation effrénée et la dévastation de la terre sous l'action des hommes et milite énergiquement en faveur d'une éthique de la responsabilité et de la modération.
C'est aux origines premières et aux fins dernières de la dimension intérieure, de la subjectivité - in vita et in situ - que Hans Jonas consacre toute sa passion de chercheur. Sous cet angle, il apparaîtra que Évolution et liberté donne toute sa portée à ce Principe Responsabilité qui a fait la réputation de Jonas, un principe responsabilité qui n'a rien d'un impératif moraliste, puisqu'il prend forme et contenu face à la réalité supérieure de la vie : celle de l'individu comme celle de l'espèce, menacée par une crise écologique sans précédent, qui renouvelle l'interrogation sur l'Être et sur son envers, le néant. Entre ces deux pôles, c'est à la catégorie du possible que l'auteur confie l'avenir humain.
De tous les livres de Hans Jonas (1993-2003), ce sont les Essais philosophiques qui ont le caractère le plus multidisciplinaire : ils portent sur l'éthique, la philosophie de la nature, de l'esprit, de l'histoire et la philosophie de la religion. Mais ce recueil n'est pas pour autant éclectique. Car au-delà de la diversité de ses objets, il constitue une remarquable illustration du chemin de pensée que s'est frayé le philosophe à travers des champs d'investigation multiples et apparemment hétérogènes. C'est ainsi qu'au fil de textes qui furent publiés entre Le Phénomène de la vie et Le principe responsabilité, on retrouve ici la dette du philosophe à l'égard de Heidegger, l'inspiration spinoziste de sa philosophie de la nature, les racines de son Principe responsabilité et un commun dénominateur de toutes ses recherches philosophiques :
Les concepts apparentés de liberté, de volonté et de valeur qui animent sa pensée comme autant de facteurs de résistance à la menace du réductionnisme.
Auteur du célèbre Principe Responsabilité, Jonas a consacré ses premiers travaux philosophique à la gnose de l'Antiquité tardive. L'« Introduction à l'histoire et à la méthodologie de la recherche » ouvrant La Gnose et l'esprit de l'Antiquité tardive (1934), ici traduite, expose les présupposés philosophiques de la réflexion de Hans Jonas sur le gnosticisme. Elle permet de comprendre comment sa synthèse remarquée du phénomène gnostique s'est adossée aux travaux du jeune Heidegger et a influencé ceux de Bultmann. Jonas y avance la double thèse du gnosticisme comme dualisme radical et comme unité intrinsèque de l'esprit de l'Antiquité tardive. Si ce texte présente un intérêt philosophique en soi, il permet aussi d'éclairer les développements de son oeuvre.
" Que la vie dise fondamentalement oui à la vie, voilà l'intuition que Jonas met à l'oeuvre dans cet ouvrage ", indiquait voici quelques années Paul Ricoeur (Le Messager européen, 5, 1991).
L'individu vivant, tel est l'objet de cette enquête phénoménologique. Et ce qu'elle met à découvert, c'est le mode d'être de cet individu : la vie, dans toute son ambiguïté, prise entre sa puissance d'affirmation de soi et sa fragilité, entre l'identité et la différence, la liberté et la nécessité. Haras Jonas met en évidence cette ambiguïté et cette tension inhérentes à la vie que n'ont su voir, dans la tradition, ni le matérialisme, ni l'idéalisme.
Aussi ont-ils ignoré l'individualité et, au fond, la vie même. Le mode de penser contemporain se ressent de cet échec, et c'est pourquoi, à penser l'individu vivant, Le phénomène de la aie se met en quête d'une ontologie qui fasse justice du nihilisme issu de la pensée moderne. Pris entre, d'une part, l'existentialisme contemporain, occupé de l'homme seulement, du caractère unique de sa situation, de sa solitude au monde et, d'autre part, la science, qui par principe s'en tient aux faits extérieurs et dès lors efface la distinction de l'animé et de l'inanimé au profit de ce dernier, le mode de penser contemporain reste incapable d'une compréhension de la vie digne de ce nom.
Il s'agit donc ici de " réclamer pour l'unité psychophysique de la vie cette place dans le schème théorique qu'elle a perdue en raison du divorce du matériel et du mental depuis Descartes. " Dans cette optique, l'auteur défend la thèse " selon laquelle l'organique, même dans ses formes les plus inférieures, préfigure l'esprit, et l'esprit, même dans ce qu'il atteint de plus haut, demeure partie intégrante de l'organique.
".
Pour que s'insinue en elle une causalité d'un autre ordre ? Comment penser la compatibilité entre la puissance psychophysique dont témoigne notre subjectivité ? L'enjeu de ces questions est certes anthropologique, puisqu'il s'agit de rejeter l'hypothèse d'une subjectivité trompeuse, mais il est aussi et surtout éthique. En effet, pour agir librement et de façon responsable il faut supposer qu'une interaction psychophysique soit possible. Réaffirmant cette vérité mise en doute par des spéculations soupçonneuses et des métaphysiques scientistes (comme l'épiphénoménisme et le matérialisme éliminativiste), Hans Jonas entend préserver un espace pour la dignité humaine. Initialement conçu par son auteur comme un préalable anthropologique à l'argumentation du Principe responsabilité, ce texte a finalement été présenté séparément afin de ne pas alourdir l'élaboration de l'éthique fondamentale. Il n'en constitue pas moins un avant-poste nécessaire.
Souvenirs : c'est sous ce titre, évitant le piège d'une autobiographie prétendument exhaustive, que Hans Jonas, l'auteur du Principe Responsabilité et du Concept de Dieu après Auschwitz retrace les étapes contrastées de sa vie et de sa pensée, groupées en deux grandes parties : ''Expériences et rencontres'', suivi de ''Philosophie et histoire''.
Né en 1903 dans une famille judéo-allemande de la Ruhr, il commence par suivre l'enseignement de Martin Heidegger et de Rudolf Bultmann à Marbourg, mais doit fuir l'Allemagne nazie dès 1933. Jonas gagne alors Londres d'où il entreprend divers voyages. En 1935, il rejoint la Palestine puis participe à la Seconde Guerre Mondiale au sein de la Brigade juive aux côtés des Anglais
Après Israël, le voici au Canada, puis enfin à New York, où il est désormais en mesure de poursuivre ses recherches personnelles tout en enseignant à l'université. Après l'étude remarquée La Gnose et l'esprit de l'Antiquité tardive, placée sous le signe de Heidegger en rapport avec un « nihilisme moderne », Jonas se tourne vers une « philosophie de la biologie » dont il revendique l'originalité.
Selon lui, les principes d'individualité et de liberté se trouvent à l'oeuvre dès les débuts de la vie animale sur la planète. C'est à partir de là que Jonas met en garde contre l'exploitation effrénée de la nature, et peut être considéré comme le philosophe de l'écologie par excellence.
Une « philosophie vécue » précisément, selon la formule dont lui-même se réclame, à travers de multiples événements qui ont fait le siècle, et au fil d'échanges divers avec les maîtres, les relations, et les amis -
Heidegger et Bultmann, Hannah Arendt, Günther Anders, Karl Lowith, Gershom Sholem - dont Jonas laisse de saisissants portraits.
Souvenirs, né d'entretiens oraux avec un jeune journaliste représentant bien la nouvelle génération, montre un extraordinaire talent de conteur, au sens où ce terme implique aussi une sagesse au travail dans un perpétuel mouvement, conformément à la fragilité de l'Être aux prises avec le temps, et que, de crise en crise, il s'agit de sauver en tout état de cause. Philosophie vécue, la « philosophie biologique » de Hans Jonas est aussi une philosophie pratique, où la spéculation cède le pas à l'intervention. A ce titre, Souvenirs n'est pas seulement un extraordinaire témoignage sur le siècle qui vient de s'écouler, mais aussi un guide pour l'action toujours à réajuster devant l'avenir qui s'annonce.
Hans Jonas est décédé le 5 février 1993 à New Rochelle près de New York.