Qu'il s'agisse de la Grèce, de la Tunisie, du Sahara central, de la Judée, de la mer Rouge ou de la neige dans la nuit qui réunit des amis autour d'un feu à Saint-Rémy-du-Val, c'est la même grâce de la parole et la même profondeur de la pensée qui s'unissent à la sensibilité du poète pour chanter la beauté innombrable du monde et le bonheur inouï d'être vivant. une poignée d'ombre seulement te sépare de la lumière - écriture de chaux dont on peint dans les îles les dalles de la nuit -
«Ce que cherche ma parole sans cesse interrompue, sans cesse insuffisante, inadéquate, hors d'haleine, n'est pas la pertinence d'une démonstration, d'une loi, mais la dénudation d'une lueur imprenable, transfixiante, d'une fluidité tour à tour bénéfique et ravageante. Une respiration. Classer, isoler, fixer ; ces exercices menés à leur somnolente utilité, nous voici mûrs pour l'insomnie de la genèse. Tous ces chemins que j'emprunte débouchent sur quelque impossible où seul l'exercice vertical de la parole maintient le mouvement : menace, bonheur et perte. Et nulle part de terme qui résoudrait, qui rassurerait. Rien que ce mal étroit, rien que ce large qui excède. On ne peut clôturer la poésie : son lieu central s'effondre en lui-même, en une compacité qui se consume, qui se troue. Silence infondé où, contre toute preuve, s'avance encore une fois la parole fragile, la parole scandaleuse, la parole écrasante, la parole inutile. [...] Écrire un poème qui ne serait pas un relevé de traces, traduction ou mise en forme, décruage des différentes couches du vécu, de ses arborisations prodigieusement entremêlées - écriture d'une lecture à un autre niveau -, mais croissance et mouvement simples, issus de nul centre et de nul commencement, ses branches, ses feuilles, ses fruits n'étant pas là pour renvoyer à autre chose, pour symboliser, mais pour conduire la sève et la vivacité de l'air, être leur bourdonnement et leur activité, nourriture et ensemencement. Et la lecture ne serait plus déchiffrement d'un code, réception d'un message ; il ne s'agirait plus de lire de son poste d'observation prudemment extérieur, mais de se couler dans le cheminement imprévisible qui est, d'un même geste, le mouvement et ses lois, la différence et l'identité, la forme qui se construit et se défait. Lire et écrire : accueillir, aller avec, creuser, respirer, jaillir.» Lorand Gaspar.
Lorand Gaspar est un poète fasciné par les déserts. Il est aussi chirurgien, chaque jour confronté à la soufrance, à la détresse. Dans ce livre, il souligne ce qu'il y a de commun entre l'apparition de la vie et celle d'un texte. Il éclaire la création poétique par la chimie et la biologie ; il demande à la poésie d'éclairer notre savoir, notre ignorance, d'être attentive à la parole qui sans cesse les déborde et se meut librement entre connu et inconnu. Il guette dans l'écriture le reflet des origines du monde. Et sa réflexion devient peu à peu poème.
Égée est un ensemble de poèmes groupés autour de la mer qui porte ce nom, de ses îles, ses oiseaux, son ciel, mais aussi son passé humain et son présent, y compris la continuité du souci de soigner, depuis le temps d'Hippocrate. Le métier de l'auteur, qui est chirurgien, se transpose alors curieusement dans l'art du poète. Les expériences intérieures de Lorand Gaspar donnent une âme vivante à des visions sereines et mettent un trouble au coeur de la beauté. Dans Judée, l'auteur parle avec une voix simple et nue du désert de Judée pour lequel il montre une véritable passion. Il nous communique de façon tangible l'expérience de ce paysage. Avec un accent d'amour désespéré, il y trouve une patrie de l'âme.
Dans un désordre organisé qui donne l'impression d'une immense ouverture sur le monde, les «feuilles» de journal du poète Lorand Gaspar nous apportent ses «observations» poétiques et cliniques sur les vivants et les mourants. (On sait que Lorand Gaspar est chirurgien à l'hôpital Charles-Nicolle de Tunis). L'auteur qui a beaucoup voyagé sait dire, avec l'obsession du temps qui passe, Athènes et les îles grecques, les pays du Proche-Orient, les villages de Tunisie, Jérusalem et les déserts de Judée, New York. Ces pages composent à la longue un art de la confession à la fois sobre, libre, secret, altier, mais toujours largement ouvert sur les insolites variations des mystères de la vie des corps, aussi bien nourris d'élans et de lassitude que guettés par la loi de la mort. Mais partout, et c'est ce qui rassemble ces feuilles comme de l'intérieur, avec la volonté de recueillir en creusant la moindre parcelle de lumière qui bouge dans les choses.
L'étoffe infiniment complexe d¹un morceau de réalité vivant lié à un temps, et dont les fils et les mouvements débordent nécessairement ce temps , tissées d¹une poignée de pierres et de lumières, de voûtes et de vallées, d¹échanges avec les hommes et les choses , de lectures de livres, de nous-mêmes et du monde, de quelques rosiers et d¹un désert à portée de la main ; mais aussi du rire et des larmes des enfants qu¹on regarde grandir, des heurs et malheurs d¹une maisonnée bourdonnante d¹objets, de bêtes et de passants, de la compagnie des malades et du lent apprentissage de l¹écoute de l¹autre, de la joie et des difficultés de vivre, des conversations nocturnes sur la terrasse près du jasmin face à la crête judéenne drapée de noir, la résonance lointaine des mots dans la nuit, contrastant avec la proximité troublante des étoiles et de la pensée de l¹infini, c¹est tout cela pour moi, et tant d¹autres choses encore, Jérusalem.
« Ici ma langue se paralyse et se creuse l'ouïe - le corps, la pensée rôdent dans les ravins calcinés.
Somptueuse nudité qui bâille dans l'étendue sans mémoire et le souple fruit de la langue rendu aux ans de sécheresse - oracle toujours qui se tait - sur le même tas de fumier. »
Collectif dirigé par Daniel Lançon, avec des textes de Jean Grosjean, Yves Leclair, Jacques Réda, Yves Bonnefoy, Moncef Ghachem, Jean-Pierre Lemaire, Sarah Clair, Michel Ledoux, Jean-Louis Florentz est des études de Jean-Yves Debreuille, Colette Camelin, Philippe Rebeyrol, Dominique Combe, Michel Favriaud, Suzanne Allaire, A. P. Coutinho Mendes, Léopold Peeters, Richard Stamelman, Christine Andreucci, Madeleine Renouard, Claude Debon, Patrick Née. Photographies et nombreux textes inédits de Lorand Gaspar.