Pierre gâche tout, l'amitié, l'amour, la paternité, par sa hâte fébrile à précipiter le temps. A'cette allure vertigineuse, il ne goûte plus ce qui fait le prix de la vie, ni les moments d'intimité que sa femme Hedwige lui ménage, ni la poésie des choses. Il se consume et consume les siens en fonçant vers un but qu'il renouvelle, chaque fois qu'il l'atteint. Pierre saura trop tôt qu'il ne se hâtait ainsi que pour arriver plus vite au rendez-vous de la mort.
Fouquet a dû croire que tout s'achète, même le destin.
Fouquet est l'homme le plus vif, le plus naturel, le plus tolérant, le plus brillant, le mieux doué pour l'art de vivre, le plus français. Il va être pris dans un étau, entre deux orgueilleux, secs, prudents, dissimulés, épurateurs impitoyables, Louis XIV et Colbert. Il succombera, étant resté un homme du temps de la Fronde, vivant dans un magnifique désordre, avec quinze ans de retard sur l'époque absolue qui s'annonce.
Fouquet le prodigue, confiant et aveugle, n'ayant su ni percer à jour la Reine Mère, ni retenir Mazarin, ni juger Colbert, ni prévoir Louis le Grand, qui l'exécutèrent, puis le dépouillèrent de son faste.
Pluriel singulier... Ils sont deux, Venise et l'auteur. Soixante ans, et plus, d'une union sans nuages. Venise fut toujours fidèle, et lui à Venise. Venises n'est pas un portrait de ville ; c'est le portrait d'un homme, dans mille Venises : un homme qui n'est pas seulement un auteur. «Le mérite de ces pages, dit Morand, c'est d'être vécues ; leur réunion, c'est une collection privée, sinon mon musée secret ; chacune présente un jour, une minute, un enthousiasme, un échec, une heure décisive ou une heure perdue. Cela pourra être revécu, récolté par d'autres, par moi jamais plus.»
Salué par la presse dès sa parution comme un livre de fête, un joyau raffiné et étincelant, L'allure de Chanel demeure la plus flamboyante des oeuvres consacrée s à Coco Chanel.
«Tout ce qui s'était passé à Paris pendant mes années d'absence confirmait la révolution des moeurs amorcée en 1917. Une génération revenait de la guerre, écoeurée d'hier, curieuse de demain, de ceux qui sauraient l'expliquer à elle-même, lui révéler le monde nouveau, lui faire l'inventaire géographique de son logis, la planète». Paul Morand.
C'est après l'apparition des « congés payés » que Paul Morand publia cette charge contre les loisirs et les fuites devant soi. Il y prône une liberté vagabonde, gouvernée par la curiosité et la fantaisie.
À quoi bon gagner du temps si nous ne savons pas en profiter ? Se reposer est un art. Un « professionnel » du loisir et de la fantaisie vagabonde nous offre cet éloge - nuancé - du repos. Pour éviter que le temps gagné ne soit aussitôt perdu, Paul Morand se livre ici à une pédagogie ironique : les vacances et les voyages s'apprennent comme le reste. Cette pratique du farniente n'est pas seulement une question de lois et de congés payés, c'est d'abord avec l'âme qu'elle a affaire.
L'itinéraire romanesque de Paul Morand est original autant qu'imprévisible. Ses neuf romans sont des plus divers. Comme tous ses comtemporains, Morand fut marqué par la Grande Guerre, qu'il n'a pas faite. Ses personnages, eux, en reviennent et ne l'oublient pas (Lewis et Irène, 1924). Paru peu après le 6 février 1934, France-la-Doulce est le seul roman français consacré à l'industrie du cinéma, mais aussi un roman xénophobe et antisémite. En dix ans et quatre livres, le visage de l'entre-deux guerres se dessine, sourit, se creuse, grimace. L'Homme pressé relève d'une inspiration plus personnelle. Pierre Niox, cet agité accablé par la lenteur des autres, entrevoit les dangers et la vanité de sa course. Il est saisi par la hantise de la mort. Ce livre majeur paraît en 1941. Niox et Morand ont la cinquantaine. À la Libération, qui le surprend à Berne, Morand se tourne vers l'Histoire, un «merveilleux alibi» : en 1947 paraît Montociel, version morandienne de L'Homme qui voulut être roi. Puis vient Le Flagellant de Séville (1951), qui a la profondeur des oeuvres de Goya. Nouveau sommet dans l'oeuvre de Morand ; silence de la critique. Tais-toi (1965), portrait en creux d'un homme incapable de s'ouvrir aux autres, sera le dernier essai romanesque de Morand. Ses romans, on l'a dit, auront été divers. Ils trouvent pourtant une unité dans la force synthétique du style.
Morand installe deux tréteaux. Sur le premier, il remet en scène l'histoire, théâtre des multiples masques de l'homme, car l'Histoire permet à Morand de se confronter à la diversité des temps, des lieux et sans doute d'éprouver ce que donne le déplacement d'une figure. Sur la seconde scène, il cherche au moi une identité, car le Je aussi - que ravagent les passions - est un théâtre. Univers poreux où s'écrit un texte étrange et étranger sur les corps, où reviennent les morts - les vrais - mais aussi ceux que nous fûmes, où la victime de l'Inquisiteur réclame son bourreau, où l'amour conduit à la folie l'amoureuse et le demi solde épris de sa jeune jument à la mort, où l'être émigre vers un pays d'origine qu'il ne retrouvera jamais. Car c'est un monde sur lequel règne Hécate et ses chiens qui, «plutôt que de nous tuer, nous entraîne à ses côtés. Alors nous suivons ces ombres qui finissent par être plus vraies, plus attirante, plus réelles que les enfants du jour.» Puis vient la Noire affaire, la Mort qui emporte Charles Quint, et ce moi éphémère qui s'est prêté un temps au Temps sur la scène du monde.
«Il me suffisait de voir Clotilde roucoulante et courte d'haleine, projetée hors d'elle-même, tout son corps démonté, les mouvements de sa tête, de ses hanches sautant comme des ressorts, Clotilde possédée dans mes bras par quelque chose qui n'était pas moi, pour me mettre en déroute. Chaque nuit j'étais vaincu par cette ménade qui ne vivait que pour le moment où elle n'avait plus à contenter qu'elle-même.Lorsque nos corps enclavés enfin se dénouaient, et que je sortais du lit, mes reins n'étaient pas seulement vides ; j'avais l'armature morale brisée. Clotilde était tuante.»
«La Croix gainée de violet rentra la première, suivie des pénitents, cohue de somnambules épuisés, titubants de fatigue, que ne réveillait pas le premier cri des coqs. Une tristesse profonde descendait sur cette fin de cérémonie, un goût de néant décomposait en vert le ciel bleu. Contrastes andalous, calices de fiel vidés parmi les verres joyeusement remplis, corps torturés parmi les danses souples, oliviers tordus parmi les lis rectilignes. Pourquoi ces larmes dans ce paradis terrestre où le rossignol de l'Alcazar célébrait la nuit frémissante et où les premières hirondelles, depuis peu arrivées des Canaries, portées par les mêmes vents réguliers qui ramenaient les Conquistadores, aiguisaient déjà leurs ailes dans le jour naissant? Comme la dalle d'un sarcophage, la porte se referma sur la procession.»
Ce que cherche Morand dans ces «éternels tropiques», c'est un goût passionné pour les voyages, la suppression des frontières, le brassage des cultures et des races. L'écrivain masque des êtres qu'on prendra pour lui. Ce qui l'agacera : «Que met-on dans ses livres? Ce qu'on n'est pas et ce que l'on voudrait être, comme dans les rêves. Les livres sont des désirs refoulés, des actes manqués.» Multipliant les approches, l'auteur affublera son personnage de masques successifs dont on ne saura jamais quel est le véritable. Aucun sans doute, car les Tropiques sont tristes et les femmes trop pâles sont déjà les mortes qu'elles seront : «Paule est toute blanche. Elle en remet.» Incapables d'aimer, elles se donnent par ennui ou par hygiène. «Sous les apparences familières, apparaît un autre être, si différent qu'il décourage tout espoir de vraie connaissance et de possession totale», note Michel Collomb. Le cosmopolitisme de Morand ne serait-il pas, au fond, l'érotisation du voyage? Au moment même où Morand coulera ses nouvelles dans un moule historique - pour tenter une impossible objectivité -, son imagination le trahira qui le conduira fantastiquement vers des au-delà dont on n'exige pas que l'auteur les justifie, et la peau de la belle créole «retournera au noir», ruinant ainsi toutes ses tentatives d'assimilation. Comme les nouvelles de Morand, ouvertes sur la Nuit.
Bains de mer, bains de rêve propose un véritable tour du monde en compagnie de Paul Morand, écrivain voyageur s'il en est. Se trouvent réunis dans ce recueil des livres célèbres, qui ont forgé l'image cosmopolite de l'auteur (Rien que la terre, Air indien...) et de nombreux textes plus brefs, reportages, chroniques ou préfaces, souvent rares ou même parfois inédits.
Comme il se doit, ce parcours débute par une série de textes liminaires sur le voyage, où Morand redouble de recommandations. Pelle-mêle, on y entendra les Méditations sur la vitesse de l'homme pressé, et même ses plus étonnant Conseils pour voyager sans argent... Le Grand Tour peut débuter. Rien que la terre de 1926 et La Route des Indes de 1936 balisent d'entrée un monde sans exclusive.
On revient ensuite en Europe, par la route (De Paris à la Méditerranée, 1931), les bains de mer (Bains de rêve, 1960), en passant bien sûr par Paris, l'Angleterre, Venise, la Suisse et les soleils du sud. Mais on s'évade aussi au bout du monde, en Amérique : c'est Air indien (1932). On va jusqu'à l'Île de Pâques. On termine en Orient, de Siam (1926) à Ispahan (1970). Toute la terre est là ; tout Morand aussi, sa curiosité jamais rassasiée, nourrie par un regard perçant et un style éblouissant. Â la fois protagoniste d'un monde qui disparait, celui des grands voyageurs, et témoin indispensable, sinon désabusé, de l'émergence du tourisme de masse...
Comme l'a écrit si juste Antoine Blondin, Morand « nous a ouvert des frontières et des coeurs lointains. Il a mis des capitales étrangères à la portée de notre main. Il les a faites moins étrangères et notre main moins farouche. Il nous a enseigné, à nous qui devions surtout nous déplacer en fourgons, le voyage apprivoisé. »
Le Journal de guerre de Paul Morand était un objet mythique dont l'existence même était sujette à caution. Au vrai, l'écrivain avait bien conservé ses notes prises durant la guerre et avait même commencé à en préparer la publication. Il en avait déposé le manuscrit à la Bibliothèque nationale, parmi un vaste ensemble de papiers personnels. Ce journal paraît pour la première fois, sans retouches ni coupes, et même complété des ajouts et des annexes prévus par Paul Morand lui-même et de quelques textes contemporains de sa rédaction. On se rappelle peut-être que Paul Morand, diplomate, était en mission à Londres le 18 juin 1940 et qu'il fut nommé ambassadeur en Roumanie en 1943. On découvre au fil des pages que, à défaut de s'être rallié en Angleterre au général de Gaulle, il choisit de se présenter à Vichy à l'été 1940, où il est mis d'office en retraite. Il décide alors de s'installer dans Paris occupé avant de rejoindre au printemps 1942 Vichy et le Cabinet de Pierre Laval, chef du gouvernement, en qualité de chargé de mission, poste qu'il occupera seize mois durant. À Londres, à Paris et à Vichy, de la déclaration de guerre de septembre 1939 à août 1943, Paul Morand a tenu son journal sans filtre ni censure, prenant note de ce qu'il voyait, de ce qu'on lui disait et de ce qu'il comprenait. Cest l'oeuvre d'un témoin conscient d'être placé aux premières loges de l'Histoire, observateur privilégié des réalités de la collaboration d'État et de la participation française à la mise en oeuvre de la Solution finale. Ce Journal de guerre est un document exceptionnel pour l'Histoire.
Paul Morand a toute sa vie tenu des chroniques dans la presse. Lui, si réservé, s'y confiait parfois de manière inattendue. J'ai eu au moins cent chats rassemble pour la première fois les plus personnelles d'entre elles.
Souvenirs d'enfance, famille, amis, voyages... Parlant des autres (Proust, Larbaud...) il parle également de lui : « J'ai commencé par détester la danse... ». Le grand cosmopolite qu'il était se rend bien sûr à New York ou à Singapour, mais on le voit aussi parcourant la France, de Montfort l'Amaury à Villefranche-sur-Mer. L'inconfort anglais ? Les cafés italiens ? Son farouche angora blanc ou sa douce persane bleue ? Rien n'est étranger à Morand, dont l'oeil insatiable et la parole acérée dessinent en quelques images frappantes le sentiment du monde.
La préface inédite de Pauline Dreyfus rend brillamment compte de ce Morand intime, qui semble à mille lieux du grand voyageur pressé. Même s'il précise : « Naturellement, je ne puis vous parler de moi tel que je suis, vous donner la clé de ce qui est même pour moi un mystère ; une pudeur bien connue m'arrête », voici le livre qui s'approche au plus près d'un Morand intime.
«C'était un très vieil endroit de plaisir, ce qu'avaient dû être Tortoni ou le Grand Seize dans leurs derniers beaux jours. (...) J'admirais les stalactites des lustres, les courtines de soie, les glands, les passementeries sans jeunesse, les écussons brodés aux armes impériales. Au fond de grottes en damas cerise, à grands motifs fruités, refroidissaient les glaces biseautées, les boissons, les diadèmes. Des dames à plumes m'entouraient, très décolletées, avec des ventouses dans le dos, comme de vieux baisers, sollicitant de moi une galanterie. Des domestiques vénérables décantaient de chauds bordeaux, encore avec des gestes rituels, mais bousculés, envahis par un public de mecs et de prostituées; on voyait dans leurs yeux la fin d'un monde.»
Découvrez Londres suivi de Le nouveau Londres, le livre de Paul Morand. Londres fut la plus durable passion de Paul Morand. Des conquérants normands à la diplomatie insulaire en passant par les pubs, les clubs, les courses de lévriers et les maisons hantées, il compose une encyclopédie à la gloire de la capitale britannique et des Anglais : "À leur amour de l'excentricité seul on peut juger déjà que les Anglais furent un grand peuple". Une oeuvre majeure pour mieux comprendre "cette ville qui fait de la lumière avec rien, avec des gris".
Toute sa vie, Paul Morand (1886-1976) a été un voyageur intrépide, insatiable, infatigable. Son métier de diplomate et son aisance ont certes favorisé ses goûts. Mais n'eût-il pas disposé de ces facilités, il aurait de toute manière satisfait ses envies : il était né globe-trotteur. Si ses romans et ses nouvelles (dont certaines furent préfacées par Proust) révèlent un talent de conteur hors pair, ses récits de voyage nous font découvrir un homme avide de sensations neuves, de paysages inédits, de bruits, d'odeurs, de rencontres. Certes, on n'avait pas attendu Morand pour voyager. D'Hérodote à Marco Polo, de Montaigne à Montesquieu, les écrivains ont lié leur exploration de l'espace à celle de l'homme. Or, Morand ne se livre à aucun exercice de relativisme moral ou politique, n'essaie pas de se consoler des étroitesses du monde bourgeois par l'exotisme, fût-il oriental. Il voyage parce qu'il veut se sentir libre et toujours en mouvement. « Nous nous mîmes à dévorer la terre, impatients de la lenteur des paquebots, excités par la soudaine liberté. Nous cherchâmes à vivre au plus vite et à nous immobiliser le moins possible, à nous fondre dans ce qui nous apparut comme l'essence même de toute vie : le mouvement. » Qui n'aurait envie de se laisser entraîner à sa suite, de se laisser emporter par le rythme de sa phrase, de se laisser charmer par la pertinence et l'impertinence de ses notations ? C'est à juste titre qu'on a dit de lui : il a du style !
Vous dites : - Décrivez-moi votre amie !Je réponds : - Elle a un ventre poli, une chair ferme où les morsures ne restent pas, des seins écartés.- Jeune ?- Très jeune : elle débouche les bouteilles avec ses dents, s'assoit face au jour, n'est pas nécessairement chez elle, se donne sans nuances, n'a pas envie de faire l'amour tous les jours.- Au fond, tout cela n'est pas très agréable.- Aussi retourne-t-on vers les amies qui disent : «j'aime faire plaisir», «vous êtes un enfant», «ma voiture peut vous reconduire», «vous êtes mal, prenez encore ce coussin», «parce que je sais que vous aimez ça...».Paul Morand.
Un festival en quatre longues nouvelles. Fleur-du-Ciel commence à Vienne et finit à Pékin : trois officiers se disputent Ida Maria von Karisch, qui a vécu légèrement mais finit comme une sainte, lazariste, torturée à mort par les Boxers. La Présidente nous transporte dans une famille américaine. Le Bazar de la Charité est une histoire d'adultère qui se déroule comme un vaudeville, en marge d'un atroce fait divers. Dans Feu monsieur le duc, celui dont on lorgne l'héritage va berner après sa mort toute sa famille. Quatre nouvelles au style à la fois élégant et très alerte, qui sont comme des instantanés d'un monde en train de disparaître. Paul Morand était hanté par le sentiment de l'agonie de l'Europe, il tenait à son rôle de témoin, lui qui avait connu la fin de la Belle Époque. Jean Giraudoux le qualifiait de " pessimiste gai ", et c'est bien le ton de ce recueil.
Jeune financier que les cours de la Bourse préoccupent plus que les femmes, Lewis tombe amoureux d'Irène - de la famille Apostolatos, riches banquiers de Trieste. Que deviendra l'amour entre ces deux requins qui, tout en se caressant, se disputent les mines de San Lucido, en Sicile ?Au meilleur de sa forme, Paul Morand nous le dit dans ce récit superbe et cruel où le coeur et l'argent échangent leurs vocabulaires.
Voici le tout premier roman de Paul Morand, écrit en 1910-1911, et inédit jusqu'en 1986. On pensait que le manuscrit de cette oeuvre de jeunesse avait été détruit par l'auteur. Il a été retrouvé en 1978 chez un libraire de Los Angeles, et acquis par la bibliothèque de l'Université Yale. À vingt-deux ans, l'auteur n'a pas encore trouvé son style, bref, ironique, détaché. C'est du Morand d'avant Morand. Mais l'intrigue ne manque pas de charme. Les extravagants est un roman d'éducation esthétique et morale où l'écrivain a mis beaucoup de sa jeune expérience : Paris, Londres, Oxford, Caen (où il fait son service militaire), Venise. Le héros, Simon de Biéville, s'attachera à deux héroïnes : Mrs Hyde, l'Anglo-Indienne en qui s'affrontent deux races mêlées, et la princesse Lemska, fière Polonaise vaincue par l'amour. Ce qui donne aux Extravagants toute leur valeur aux yeux du lecteur familier de l'oeuvre de Morand, c'est d'y trouver exposé pour la première fois le thème auquel son nom est demeuré attaché : le cosmopolitisme.
Ce journal couvre les dernières années de la vie de Paul Morand, de juin 1968 à avril 1976 : trente-deux cahiers manuscrits, déposés par lui à la Bibliothèque Nationale, et un dernier cahier inachevé.Suivant les volontés de l'auteur, leur contenu ne devait être ni consulté ni publié avant l'année 2000. Il entendait ainsi les mettre à l'abri des indiscrétions et commentaires de ses contemporains.Ces notes rédigées au fil des jours, sans se relire ni se corriger, mêlent rencontres, propos rapportés, réflexions personnelles sur les événements actuels et évocations du passé, lectures et voyages. Écrit tantôt au feutre, tantôt au Bic, tantôt au stylo ou au crayon, accompagné de feuilles volantes, de pages arrachées à des carnets, de photographies, de coupures de journaux, de lettres épinglées (certaines, d'époques diverses, sont réunies dans les Annexes du tome II où figure également un index général), ce Journal se présente comme une oeuvre qui n'est pas si éloignée des collages des peintres. Il comporte même quelques petits dessins manuscrits, des dizaines de cartes postales et de papiers d'hôtels à en-tête de tous les pays du monde. Cosmopolite comme son auteur, révélant, comme lui-même l'écrit, son envie jusqu'à la fin «d'être ailleurs».
«Seule la torture morale convient aux délicats... Il faut faire saigner, mais sans effusion de sang», déclarait Néron, qui s'y connaissait. Paul Morand l'a d'ailleurs choisi pour héros de la première de ces trois nouvelles, placées sous le signe du bizarre, quand ce n'est pas de la monstruosité.C'est le duel subtil entre l'empereur histrion et son vieux maître fatigué, Sénèque, stoïcien pas très stoïque, qui a fasciné Paul Morand. Un mot, une intonation, un silence, et Sénèque sait que c'en est fait de sa vie. Mais si sa jeune épouse Paulina veut l'accompagner dans la mort, Néron le prend pour une nouvelle offense, et fait refermer les veines de la femme trop fidèle. «Je la condamne à vivre !» s'écrie-t-il.Les Compagnons de la Femme, tel fut le nom que prirent les saint-simoniens qui partirent, à la suite du Père Enfantin, à la découverte de l'Orient, symbole de la Mère. Ayant tout quitté, y compris leurs épouses, au nom de l'amour, ils ont voulu percer le canal de Suez trente ans avant de Lesseps. Dans leur folie généreuse, ils croyaient régénérer l'humanité....Le château aventureux est l'histoire d'une malédiction qui se répète dans une famille italienne à travers les siècles. Deux fois, il naît une naine. Et l'on fait tout pour la préserver du contact des gens de taille normale. Mais les deux fois, l'amour vient brouiller les plans les mieux faits, et apporter une tragédie, qui, pour être naine, n'en est pas moins une tragédie.
Huit nouvelles. Trois régions : les Antilles, l'Afrique, les États-Unis. Un jeune garçon qui rêve de devenir le Lénine de son peuple fait un coup d'état à Haïti. Combien de temps durera sa dictature ? Une danseuse afro-américaine est initiée aux pratiques vaudous dans le Harlem des années 1920. Survivra-t-elle ? La dépouille du roi d'un pays d'Afrique disparaît. Une malédiction ? Dans ces récits où le fantastique le dispute à l'érotisme, où un style virtuose transfigure les mythes d'une des plus anciennes civilisations du monde, Paul Morand rend hommage au génie de la culture noire.